La maison "Deneux Frères" suite
L'usine : la maison "Deneux Frères"
ou l’histoire de la fabrication des toiles dans le Vimeu, qui fit d’Hallencourt une cité particulièrement prospère. (2)
Dans notre second article ayant trait à l'histoire, de la fabrication des toiles dans le Vimeu, nous avons commencé à situer l'importance qu'avait prise cette fabrication dans la seule localité d'Hallencourt, insistant, notamment, sur l'apogée de la fabrication à la main.
Nous terminerons, aujourd'hui, cette enquête par une étude consacrée à la Maison Deneux frères, où, même quand le tissage mécanique fut installé, le tissage à la main conserva pour cette entreprise une importance primordiale, tant par le nombre de métiers à la main qu'elle alimentait, que pour la valeur et la finesse des tissus que ces métiers fabriquaient. Ainsi, jusqu'en 1900, 180 métiers battaient dans le tissage à la main de l'usine, et, dans le bourg, 75 tisserands à domicile, actionnaient la navette pour son compte. Après la guerre, tout changea, et vers 1927 on comptait 350 métiers mécaniques dans l'usine qui n'occupait plus que 12 tisseurs à Ia main sur place et une dizaine à domicile, Ces quelque vingt métiers à la main restant étaient affectés à la fabrication des tissus de grande finesse qu'on n'était, pas encore parvenu à obtenir sur les métiers mécaniques.
Une fabrique de réputation mondiale
La maison "Deneux Frères » fut créée en 1828 par Louis Deneux. À cette époque, le fondateur de cette entreprise n'était qu'un de ces modestes artisants. Il n'avait que deux métiers tissant la toile à draps, et pour vivre il cultivait en sus quelques lopins de terre. Un jour de pluie battante, son fils aîné Sylvain qui se consacrait aux travaux de la culture, rentra au logis trempé jusqu'aux os. Prenant place au coin de l'âtre pour se sécher, il poussa cette exclamation de découragement : « Quel sale métier ! ». L'entendant, un marchand de fil qui offrait justement de la matière première à son père, lui conseilla de s'occuper de la fabrication de la toile. Ce conseil fut suivi, et le jeune Deneux apprenant qu'un cours de tissage est professé à la «Société Industrielle d'Amiens » par MM. Seguais, puis Nadolski qui fut le maître d'Edouard Gand né à Amiens en 1815, devient en 1839 un auditeur attentif de ces professeurs. Possédant des données techniques de tissage, il revient à Hallencourt et seconde activement son père. D'abord il augmente le nombre des métiers qu'il porte à une quinzaine et essaie de tirer profit des connaissances qu'il a acquises.
De 1839 à 1848 ce fut la période des tâtonnements où Sylvain Deneux travaille sans profit. Enfin, ses efforts persévérants sont couronnés de succès et en l'année 1849, iI réalise 10000 francs de bénéfices, «Nous sommes sauvés », dit-il à son père. En effet, à partir de cette date, grâce à l'initiative intelligente de Sylain et de son frère cadet Jules, la maison Deneux va prospérer et prendre un essor inespéré. En 1885, tous deux abandonnent les affaires et laissent la direction de l'entreprise à trois fils de Jules Deneux : Fernand, Anschaire et AdaIbert. En 1905, l'association Deneux frères se transforme en société anonyme. Quelques années plus tard, un homme énergique, actif, ayant l'intelligence des affaires au plus haut degré, en assume la direction. C'est M. Edmond Cavillon, conseilIer du commerce extérieur de la France, officier de la Légion d'Honneur, sénateur de la Somme et gendre d’Anschaire Deneux. Sous son impulsion, cette importante société prend une extension considérable. Elle devient pour la fabrication du linge de table, l'une des plus grandes, peut-être la plus grande firme de tissage de l'Europe continentale. Pensons qu'en 1927, outre l'important tissage d'Hallencourt, elle comprenait :
- La blanchisserie sur prés et la broderie de Cagny (dirigée par Adalbert Deneux).
- La broderie mécanique d'Airaines.
- Le tissage mécanique de Quevauviliers.
- La broderie à la main de Doullens.
- Le tissage de mouchoirs de Bapaume.
- Le tissage mécanique de Beauquesne, déjà pourvu d'un matériel moderne.
Employant jusqu'à 500 ouvriers et ouvrières la production de cet établissement connut une réputation mondiale et maintes récompenses obtenues dans les expositions nationales et internationales en sanctionnèrent la haute qualité. Notons : nappes, serviettes à thé, tissus de fantaisie à coloris variés et aux dessins les plus divers. Victime du progrès , des caprices de la mode, de la concurrence étrangère, l'usine tenta néanmoins de résister. L'activité reprit bien après 1945, mais quelques années plus tard elIe cessait définitivement toute fabrication. Ainsi disparaissaient de la circulation les célèbres toiles d'Hallencourt, dont jadis les agents du Printemps, du Bon Marché, du Louvre, etc., passaient d'importantes commandes. Seul rappel de ce temps, l'usine qui, mis à part la disparition de la haute cheminée, a conservé presque intact son aspect d'antan. Rénovés, les bâtiments abritent. aujourd'hui deux industries. Et une plaque apposée à l'entrée de l'Hôtel de Ville où l'on peut lire : "Louis, François Deneux, manufacturier, chevalier de la Légion d'Honneur a établi dans ce bourg l'Industrie du linge damassé, 1787-1867. Nous ne voudrions pas conclure sans remercier toutes les personnes qui nous ont aidé dans cette enquête, et notamment celles qui nous ont aimablement confié des documents écrits ou photographique. R. D. et J.-P. C.
Extraits du "Courrier Picard" des 4 et 7 novembre 1969.